ATHENS DIALOGUES :

L'universalisme des droits de l'homme en danger

While celebrating the spread of multiculturalism, one must also insist upon the universality of human rights, which not all countries or cultures protect or support.

Le caractère universel des droits de l’homme face aux particularismes revendiqués des pays souverainistes et différentialistes.

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L’universalisme des droits de l’homme en danger


1.1 
Le caractère universel des droits de l’homme signifie que ces droits concernent « tout homme », à raison de sa qualité même d’être humain, indépendamment de toute autre considération. Comme le soulignait le grand juriste René Cassin, l’un des initiateurs et rédacteurs de la Déclaration Universelle du 8 décembre 1948, il s’agit de « protéger tout homme et protéger les droits de tous les hommes ».

1.2 
Après cette proclamation en 1948, la guerre froide a vu s’affirmer un très dur conflit idéologique entre tenants des droits de l’homme, dans leur version libérale, modernisée par Raymond Aron, et les tenants des droits de l’homme qualifiés de « socialistes ». Cette opposition a pris fin avec l’effondrement des sociétés communistes, et, pendant la dernière décennie du XXe siècle, on a assisté à un triomphe œcuménique des droits de l’homme, laissant à croire que l’universalité des droits de l’homme politiques et sociaux étaient désormais un principe reconnu par tous.

1.3 
Pourtant on assiste de nouveau à la montée en puissance d’une contestation importante de leur universalité, et ce depuis les attentats du 11 septembre 2001. À partir de cette date, les États-Unis, principale puissance occidentale, ont pris la tête d’une croisade contre le terrorisme, du bien contre le mal. Au nom de cet objectif dont la nécessité s’imposait à l’opinion publique, les États-Unis, et à un moindre degré leurs alliés occidentaux, ont adopté un certain nombre de dispositions exorbitantes du droit commun et qui méconnaissent les principes mêmes dont ils se réclament. Qu’il s’agisse de détentions parfois arbitraires, de recours à des procédés de torture ou à des lois d’exception contraires aux droits de l’homme.

1.4 
Ces pratiques de nombreux États ont suscité l’accusation du « double standard ». Les Occidentaux ont été accusés de faire « deux poids deux mesures ». Toujours prêts à brandir les droits de l’homme et à donner des leçons aux autres États, ils ignoreraient délibérément les droits de l’homme quand leur propre sécurité est en cause.

1.5 
Les États-Unis paraissent en effet, aux yeux du monde, comme étant le modèle occidental dominant. Ce sont donc les États-Unis, et avec eux tout l’occident, qui sont pointés du doigt. En clair, cela veut dire que les garanties constitutionnelles valent pour les citoyens des États-Unis, mais que, pour les autres, non citoyens ou citoyens d’États qui ne sont pas des États de civilisation occidentale, c’est le non-droit, c’est Guantanamo, c’est l’usage de la force ! Ceci a créé très profondément une rupture, une brèche dans le monde. Si des arrêts de la Cour suprême ont rappelé au respect des droits fondamentaux et notamment de l’ Habeas corpus , [1] ils n’auront pas permis de combler cette brèche.

1.6 
Dans ce contexte difficile, les États européens n’ont eux non plus pas été en reste, et ont également pris des dispositions antiterroristes, mais sans rapport avec les États-Unis quant à leur gravité en matière de droits de l’homme. Le plus grave ayant probablement été la collaboration de certains pays européens avec la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers qui a fait l’objet d’une résolution du Parlement européen en date du 14 février 2007, en vue de tirer au clair le rôle joué par les États membres dans ces pratiques illégales, et de s’assurer que l’Union et les États membres ne seront plus impliqués à l’avenir dans des affaires similaires de violation des droits de l’homme.

1.7 
Sur la scène internationale, on assiste ainsi depuis une dizaine d’années à une remise en question structurelle des droits de l’homme. Au grand conflit idéologique, entre 1948 et 1989, entre les tenants des droits formels et des réels s’affrontent, derrière les paroles révérencielles à l’égard des droits de l’homme, des conceptions antagonistes entre les tenants de l’universalisme des droits de l’homme et ceux qui considèrent que le sens et le contenu des droits de l’homme peuvent varier selon les cultures et les conceptions des États.

1.8 
Un nouveau clivage en matière de droits de l’homme s’est dès lors fait jour entre les défenseurs de l’universalisme et ceux du différentialisme, et si l’on peut distinguer selon la nature de la contestation (I), ce sont bien dans les mêmes domaines qu’elle va s’exprimer (II).

Nature de la Contestation


2.1 
Deux types de contestation peuvent être identifiés, la contestation souverainiste d’une part (§2. 2-§2. 5), la conception différentialiste d’autre part (§2. 6-§2. 10).

La contestation souverainiste


3.1 
Le premier bloc, les contestataires souverainistes, comprend des pays comme la Chine, le Venezuela, Cuba ou encore la Russie qui sans s’opposer aux droits de l’homme n’entendent les protéger que dans la limite où ils les ont reconnus, et selon leurs modalités, essentiellement nationales.

3.2 
Aussi, la constitution chinoise a certes été complétée en 2004 par un alinéa selon lequel « l’État respecte et protège les droits de l’homme ». Mais il ne les respecte et les protège que pour autant qu’il les reconnaît, et c’est à l’État souverain de définir leur étendue et leur garantie.

3.3 
En 2005, l’Office d'information du Conseil des Affaires d’État de la République populaire de Chine a publié un document accessible sur la version française du site du Centre chinois d’information par Internet [2] intitulé « L’édification de la politique démocratique en Chine » dans lequel on peut lire :
« La démocratie en Chine est garantie par la dictature de la démocratie populaire. La dictature de la démocratie populaire consiste, d'une part, à pratiquer la plus large démocratie au sein du peuple, à respecter et garantir les droits de l'homme et à faire détenir le pouvoir d’État par le peuple et au service de celui-ci, et d'autre part, à sanctionner par le moyen dictatorial tous les criminels qui sabotent le régime socialiste, qui nuisent à la sûreté de l'État et à la sécurité publique, qui violent les droits personnels et démocratiques des citoyens et qui commettent la concussion et la prévarication, afin de garantir les intérêts fondamentaux des plus larges masses populaires L'histoire et la réalité du développement de la civilisation politique humaine montrent qu'il n'en existe pas un modèle unique, universel et absolu dans le monde. Pour juger qu'un système politique est démocratique ou pas, il faut voir si la volonté de l'immense majorité de la population est pleinement reflétée, si le droit de l'immense majorité de la population d'être maître du pays est pleinement réalisé, si les droits et intérêts légitimes de l'immense majorité de la population sont pleinement garantis. »


3.4 
Au plan international, cette conception défendue par la Chine, implique le respect absolu par les instances internationales du principe de non ingérence dans les affaires intérieures des États, les droits de l’homme étant considérés comme relevant du domaine national exclusivement.

3.5 
Pour les tenants du souverainisme absolu, l’opinion selon laquelle le principe de non-intervention dans les affaires des autres pays ne s’applique pas au problème des droits de l’homme, va à l’encontre du droit international. Selon eux, ceux qui soutiennent que le principe de souveraineté cède devant le principe de l’universalité des droits de l’homme et de sa mise en cause, se trompent. Chacun demeure maître de sa souveraineté en matière de droits de l’homme. C’est pour cette raison que la protection internationale des droits de l’homme doit tout d’abord promouvoir la coopération internationale dans le respect des principes de chaque État. Dans un document plus ancien, mais qui figure toujours sur la version française du site du Centre chinois d’information par Internet, daté de 1991, publié par le même Office et intitulé «  Les droits de l’homme en Chine  », on peut lire la conception que se fait la Chine des droits de l’homme dans l’ordre international :
« Au cours des activités de l'ONU en faveur des droits de l'homme, la Chine s'oppose fermement à ce que quelque pays que ce soit se serve des droits de l'homme pour imposer ses valeurs, son idéologie, ses conceptions politiques et son mode de développement à d'autres pays, et pour s'ingérer dans les affaires intérieures des autres pays, en particulier des pays en voie de développement, ce qui porte atteinte à la souveraineté et à la dignité de nombreux pays en voie de développement […] L'opinion de la Chine à ce sujet est que les droits de l'homme sont par leur nature du ressort de la juridiction nationale d'un État, [que] le respect de la souveraineté des États, la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, qui font partie des règles du droit international reconnues de tous, s'appliquent dans tous les domaines des relations internationales et naturellement dans celui des droits de l'homme. »


3.6 
La position de la Chine en particulier, et de l’Asie en général qui, il faut le rappeler, est le seul continent à ne pas s’être doté d’une convention régionale de protection des droits de l’homme, est clairement résumée dans la Déclaration de Bangkok du 2 avril 1993 adoptée dans le cadre des travaux préparatoires à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de Vienne qui s’est tenue en 1993. On peut ainsi y lire que les participants :
« 8. Constatent que, si les droits de l'homme sont par nature universels, ils doivent être envisagés dans le contexte du processus dynamique et évolutif de fixation des normes internationales, en ayant à l'esprit l'importance des particularismes nationaux et régionaux comme des divers contextes historiques, culturels et religieux ».


La conception différentialiste


4.1 
Cette conception différentialiste ne prend pas sa racine dans une certaine vision du régime politique. Elle prend sa source dans une conception religieuse de la société. Ce discours s’est renforcé, particulièrement depuis une dizaine d’années, dans les États islamistes. Le porte-parole et le foyer de cette conception, c’est l’Organisation de la Conférence islamique (O.C.I.).

4.2 
L’O.C.I. regroupe cinquante sept d’États. Pour eux, les droits de l’homme ont une origine divine. C’est Dieu qui les a révélés aux hommes. C’est Dieu qui en a donné le bienfait aux hommes, à travers la loi religieuse; par conséquent, c’est au regard de la loi religieuse que l’on doit interpréter les droits de l’homme.

4.3 
Ainsi la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam adoptée au sein de l’O.C.I. le 5 août 1990 indique dans son préambule :
« Convaincus que, dans l'Islam, les droits fondamentaux et les libertés publiques font partie intégrante de la foi islamique, et que nul n'a, par principe, le droit de les entraver, totalement ou partiellement, de les violer ou les ignorer, car ces droits sont des commandements divins exécutoires, que Dieu a dictés dans ses Livres révélés et qui constituent l'objet du message dont il a investi le dernier de ses prophètes en vue de parachever les messages célestes, de telle sorte que l'observance de ces commandements soit un signe de dévotion; leur négation, ou violation constitue un acte condamnable au regard de la religion; et que tout homme en soit responsable individuellement, et la communauté collectivement. »
De même peut-on lire dans le préambule de la Charte arabe des droits de l'homme adoptée en mai 2004 au sein de la Ligue des États arabes, entrée en vigueur le 15 mars 2008 que :
« Procédant de la foi de la Nation arabe dans la dignité de l'homme que Dieu a honoré depuis la création du monde et dans le fait que la patrie arabe est le berceau des religions et des civilisations dont les nobles valeurs ont consacré le droit de l'homme à une vie digne fondée sur la liberté, la justice et l'égalité ».
Cette conception est contraire à celle inspirée par les idéaux des Lumières et au principe de laïcité. Par ce qu’elle ne connaît pas de droit qui ne trouve pas sa source dans la religion, celle-ci devient dès lors à la fois source des droits de l’homme, mais aussi maîtresse de leur interprétation.

4.4 
Ainsi la liberté d’expression est bien proclamée par l’article 22 de la Déclaration du Caire, « pourvu qu'elle ne soit pas en contradiction avec les principes de la Charria ». Dans ces pays, lorsqu’un contrôle de constitutionnalité existe, il n’est pas rare que la Charia figure précisément au sommet de la hiérarchie des normes. C’est le cas de la Constitution égyptienne dont l’article 2 proclame que « les principes de la loi islamique constituent la source principale de législation ». La Haute Cour constitutionnelle égyptienne vérifie ainsi le respect par la loi de la Charia. Elle a élaboré une jurisprudence qui distingue entre les principes absolus et les principes relatifs de la loi islamique. S’agissant des premiers elle a déclaré dans une décision du 4 mai 1985 que :
« Attendu que ce que la Constitution a stipulé dans son article 2 après son amendement de 1980, et conformément à la jurisprudence de la Haute Cour constitutionnelle, ne s'applique qu'à la législation promulguée après son entrée en vigueur, au titre de laquelle figurent les dispositions de la loi n° 100 de 1985. Ceci a pour conséquence l'interdiction pour un texte législatif de contredire les règles de la sharia dont l'origine et la signification sont absolues ( al-ahkâm al-shar‘iyya al-qat‘iyya fî thubûtihâ wa dalâlatihâ ), ces règles étant les seules pour lesquelles le raisonnement interprétatif ( ijtihâd ) n'est pas autorisé. Incarnant les principes fondamentaux ( kulliyya ) et les fondements fixes de la sharia islamique, elles sont immuables et n'admettent aucune interprétation (ta’wîl). Il est donc inconcevable que leur sens se modifie en fonction du temps et du lieu, dès lors qu'elles défient tout amendement et qu'il n'est pas permis de leur porter atteinte ».[3]
Dans une décision du 14 août 1994, elle a ainsi considéré que le principe même de la licéité de la polygamie dérivait d'un verset coranique, et qu’à ce titre il était immuable dans le temps et dans l'espace.[4]

Domaines de la contestation


Le recours à la peine de mort


5.1 
L’opposition est particulièrement marquée en ce qui concerne l’abolition universelle de la peine de mort. Celle-ci marque des progrès partout.[5]

5.2 
Mais quand il s’agit des États islamistes intégristes, le recours à la peine de mort demeure un principe et une pratique, comme en témoignent les cas de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, du Pakistan et des Émirats arabes unis. Alors que la peine de mort est en régression, l’Iran a, pour sa part, triplé le nombre d’exécutions ces trois dernières années. Pour l’année 2008, 300 exécutions ont eu lieu pour une population de 73 millions d’habitants. Parallèlement, l’Iran est l’État qui recourt le plus à la peine de mort, notamment en ce qui concerne les femmes et les mineurs pénaux (dont 5 en 2009), alors qu’il a signé le pacte sur les droits civils et politiques.

5.3 
La Charte arabe précitée ne bannit pas la peine de mort puisque son article 6 dispose que « la peine de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves conformément aux lois en vigueur au moment où le crime est commis et en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent ». Même s’agissant des mineurs, son article 7 la prohibe, « sauf disposition contraire de la législation en vigueur au moment de l'infraction » !

5.4 
Cette opposition s’est manifestée au moment de l’adoption de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies portant Moratoire sur l’application de la peine de mort le 18 décembre 2007, où la Chine et l’essentiel des pays de l’O.C.I.s’y sont opposés, mais qui a quand même pu être adoptée avec 104 voix pour, 54 contre, [6] et 29 abstentions.[7]

La contestation relativement à la liberté d’expression


6.1 
L’affaire de la publication des caricatures de Mahomet a donné lieu à une opposition frontale entre laïcistes universels et religieux différentialistes. Suite à cela, les Ministres des affaires étrangères de l’O.C.I. ont adopté le 25 mai 2009 une résolution sur La lutte contre l’islamophobie dans laquelle il est affirmé « que les libertés doivent s’exercer avec responsabilité en tenant dûment compte des droits fondamentaux des autres et, dans ce contexte », que sont condamnés « dans les termes les plus énergiques tous les actes blasphématoires à l’encontre des principes, symboles, valeurs sacrées et personnages islamiques, notamment la publication des caricatures injurieuses du prophète Mohamed (PSL) ainsi que toutes les remarques désobligeantes sur l’Islam et les personnalités sacrées et la diffusion d’un documentaire diffamatoire sur le Coran et la reprise de par d’autres médias, sous le prétexte de la liberté d’expression et d’opinion ».[8] Condamnation réaffirmée lors de la dernière réunion de la Conférence des Ministres des affaires étrangères qui s’est tenue à Douchanbé du 18 au 20 mai 2010.[9]

6.2 
Ce débat sur la liberté d’expression a également été porté au sein du Conseil des droits de l’homme où les démocraties sont minoritaires. Le 26 mars 2007 a été adoptée une résolution sur La lutte contre la diffamation des religions qui peut être regardée comme une attaque directe contre la laïcité et un appel à la condamnation du blasphème présentée par le Pakistan au nom de l’O.C.I. Elle indique notamment que :
« Notant avec inquiétude que la diffamation des religions constitue l’une des causes de la discorde sociale et qu’elle entraîne des violations des droits de l’homme.
[…]
10. Insiste sur le droit de chacun à la liberté d’expression, qui devrait s’exercer de façon responsable et peut donc être soumis à des restrictions, prescrites par la loi et nécessaires pour le respect des droits ou de la réputation d’autrui, la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, de la santé ou de la morale publiques, et le respect des religions et des convictions ».


6.3 
Chaque fois que l’on procède à des votes, l’Union européenne se trouve le plus souvent en minorité par rapport à la coalition constituée entre la Conférence islamique et les États qui, pour d’autres raisons qui sont d’ordre politique, ne veulent pas entendre parler d’ingérence dans la souveraineté.

6.4 
A la suite de cette résolution, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, M. Doudou Diène, a adopté un rapport sur les manifestations de la diffamation des religions et en particulier sur les incidences graves de l’islamophobie sur la jouissance de tous les droits le 21 août 2007 dans lequel figure une attaque frontale contre la laïcité comme manifestation islamophobe. On y lit notamment que :
« Une forme particulièrement préoccupante de discrimination à l’égard de l’islam est l’hostilité croissante qui vise les signes religieux. Dans diverses régions du monde, une rhétorique laïciste virulente est en train de prospérer, entraînant une plus grande discrimination des musulmans. Un exemple significatif est la construction des mosquées, signes religieux visibles de l’islam qui sont devenus la cible toute désignée des pratiques discriminatoires. Dans divers pays, des collectivités mettent de nombreux obstacles à la construction de nouvelles mosquées, en violation manifeste du droit à la liberté de religion. ».[10]


La contestation relativement aux droits des femmes


7.1 
La condition des femmes est elle aussi un point de friction entre la lecture universaliste et divine des droits l’homme. Certes la Charte arabe des droits de l’homme leur reconnaît l’égalité avec les hommes, voi re même une « discrimination positive » en leur faveur :
« L'homme et la femme sont égaux sur le plan de la dignité humaine, des droits et des devoirs dans le cadre de la discrimination positive instituée au profit de la femme par la charia islamique et les autres lois divines et par les législations et les instruments internationaux ».[11]


7.2 
Cependant, lorsque l’Union européenne a pris des résolutions demandant qu’on condamne cette pratique, l’O.C.I. a vivement réagi en appelant à s’abstenir de toute utilisation de l’universalité des droits de l’homme comme prétexte pour s’immiscer dans les affaires intérieures des États et porter atteinte à leur souveraineté nationale. Elle a en outre dénoncé explicitement la condamnation de la lapidation par l’Union européenne. Dans le Communiqué de la 30e session de 2003 de la Conférence islamique des ministres des affaires étrangères, on lit ainsi que :
« La Conférence a fait état de sa profonde préoccupation de l’amalgame fait de manière répétitive et erronée entre l’Islam et la violation des droits de l’homme. Elle dénonce l’exploitation de la presse écrite et audiovisuelle pour propager ces idées fausses et a appelé à mettre fin aux campagnes injustifiées lancées par certaines organisations non gouvernementales contre un certain nombre d’États membres pour leur demander d’abroger les peines et sanctions prévues par la Charia, sous prétexte de la défense des droits de l’homme. Elle a réaffirmé le droit des États à préserver leur spécificité religieuse, sociale et culturelle qui constitue un patrimoine pouvant enrichir les concepts universels communs des droits de l’homme. Elle a appelé à s’abstenir de toute utilisation de l’universalité des droits de l’homme comme prétexte pour s’ingérer dans les affaires intérieures des États et porter atteinte à leur souveraineté nationale. Elle a, en outre, dénoncé la décision de l’Union européenne concernant la condamnation de la peine de lapidation et des autres peines qualifiées d’inhumaines et qui sont appliquées dans certains États membres en vertu des dispositions de la Charia. ».[12]


7.3 
Cette opposition irréductible n’est pas sans rappeler l’affrontement idéologique entre communistes et libéraux à l’époque de la guerre froide.

7.4 
La Conférence islamique a heureusement tempéré la tonalité de sa position en 2006. Elle a insisté sur la nécessité pour la communauté internationale « d’aborder la question des droits de l’homme avec objectivité en tenant compte du fait qu’ils sont uns et indivisibles et concernent tous les États sans sélectivité et discrimination ». Mais, lors de sa 11e Conférence islamique au sommet des Chefs d’État, du 14 mars 2008, l’O.C.I. a rappelé le droit des États à adhérer à leurs spécificités religieuses, sociales et culturelles, et a appelé à ne pas utiliser l’universalité des droits de l’homme comme prétexte pour s’immiscer dans les affaires intérieures des États et porter atteinte à leur souveraineté nationale.[13]

La contestation concernant la dépénalisation de l’homosexualité


8.1 
Un autre domaine dans lequel se manifeste encore de manière évidente l’affrontement entre les tenants de l’universalisme et du différentialisme est celui de la lutte contre l’homophobie, ou plus précisément le combat pour la dépénalisation de l’homosexualité qui continue à constituer un crime ou un délit dans quatre-vingt pays, dont sept qui prévoient la peine de mort : Mauritanie, Soudan, Arabie Saoudite, Iran, Yémen, et dans certaines régions du Nigeria et de la Somalie.

8.2 
Le Brésil avait soumis en 2003 à la Commission des droits de l’homme un projet de résolution intitulée « Droits de l’homme et orientation sexuelle » qui pour la première fois visait spécifiquement à condamner les violations des droits de l’homme fondées sur l’orientation sexuelle. Le projet disposait notamment que : « 2. les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont inhérents à tous les êtres humains, que leur caractère universel est incontestable et que leur exercice ne devrait être entravé en aucune manière en raison de l'orientation sexuelle; 3. engage tous les États à promouvoir et protéger les droits de l'homme de toutes les personnes quelle que soit leur orientation sexuelle ». L’examen du texte a été reporté en 2003, reporté en 2004 et finalement abandonné en 2005 sous la pression notamment de l’O.C.I.

8.3 
En 2005 la Nouvelle-Zélande devant la Commission des droits de l’homme, et en 2006 la Norvège devant le Conseil des droits de l’homme, ont fait des déclarations sur la non discrimination pour orientation sexuelle. Mais jamais l’inscription à l’ordre du jour d’un projet de résolution n’a pu être obtenue.

8.4 
Le 18 décembre 2008 une Déclaration sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre a été lue à l’Assemblée générale des Nations Unies. Lue par l’Argentine, élaborée par la France, elle a réuni 67 États signataires et demandait « instamment aux États de prendre toutes les mesures nécessaires […] pour garantir que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne soient, en aucune circonstance, le fondement de sanctions pénales, en particulier d’exécutions, d’arrestations ou de détention ».[14] Le même jour une contre-déclaration signée par 59 États a été prononcée par la Syrie selon laquelle les signataires se déclaraient « sérieusement préoccupés par la tentative d’introduire aux Nations Unies des notions qui n’ont pas de fondements juridiques dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme ».[15]

8.5 
On mesure là l’ampleur du clivage qui sépare les universalistes des multiculturalistes. En avril 2009, la France avait d’ailleurs proposé à l’occasion de la Conférence de Durban II d’introduire la notion de discrimination liée à l’orientation sexuelle. En vain.

8.6 
En guise de conclusion, il faut se référer à Kofi Annan qui a fréquemment rappelé que si l’on ne reconnaissait pas le principe d’universalité pour les droits de l’homme, il n’y avait plus de droits de l’homme. Le noyau dur des droits de l’homme, c’est le refus des châtiments cruels et inhumains et des viols collectifs, c’est le refus de la purification ethnique et des génocides, c’est le refus de la torture et des détentions arbitraires. Et il ajoutait toujours : « Ne me parlez pas de vision multiculturelle des droits de l’homme. Je vous garantis que si vous demandez à un père africain ou à une femme africaine dont on a exécuté le fils et dont la fille a subi des viols collectifs, ce que sont les droits de l’homme, croyez-moi ils le savent beaucoup mieux que vous et moi. »

8.7 
Nul sans doute ne contestera la sagesse ni la force de ces propos. Mais le respect des droits fondamentaux de l’homme par un État souverain implique que puisse être recherchée par les juridictions pénales internationales la responsabilité pénale des auteurs de leurs violations, quelques soient leur fonction. Et la lapidation des femmes au nom d’une prescription religieuse alléguée par ses juges, ne peut s’abriter derrière la barrière du différentialisme. Le multiculturalisme appliqué aux droits de l’homme ruine leur universalisme et donc la sauvegarde de ces droits.

Footnotes


Note 1
Voir les affaires Hamdi v. Rumsfeld et Rasul v. Bush du 28 juin 2004; Hamdan v. Rumsfeld du 29 juin 2006; Boumediene v. Bush du 12 juin 2008; et la plus récente Fadi Maqaleh v. Gates du 2 avril 2009 dans laquelle la Cour suprême déclare l’Habeas corpus applicable aux détenus de la prison de Bagram en Afghanistan (toutes disponibles sur le site de la Cour http ://www. supremecourt. gov/).


Note 2
http://french. china. org. cn/, Éditions spéciales, Livres blancs.


Note 3
Cité par Nathalie Bernard-Maugiron et Baudouin Dupret, « La Haute Cour constitutionnelle et la référence à la Loi islamique », Égypte Monde Arabe , 1999, n° 2, § 14.


Note 4
Ibid., § 21.


Note 5
139 États sont aujourd’hui abolitionnistes en droit ou en fait. Aux États-Unis on est passés de 98 exécutions en 1999 à 52 en 2009.


Note 6
Afghanistan, Antigua-et-Barbuda, Arabie Saoudite, Bahamas, Bahreïn, Bangladesh, Barbade, Belize, Botswana, Brunéi Darussalam, Chine, Comores, Dominique, Égypte, États-Unis d’Amérique, Éthiopie, Grenade, Guyana, Îles Salomon, Inde, Indonésie, Iran (République islamique d’), Iraq, Jamahiriya arabe libyenne, Jamaïque, Japon, Jordanie, Koweït, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Mongolie, Myanmar, Nigéria, Oman, Ouganda, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Qatar, République arabe syrienne, République populaire démocratique de Corée, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Singapour, Somalie, Soudan, Suriname, Tchad, Thaïlande, Tonga, Trinité-et-Tobago, Yémen, Zimbabwe.


Note 7
Bélarus, Bhoutan, Cameroun, Cuba, Djibouti, Émirats arabes unis, Érythrée, Fidji, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée équatoriale, Kenya, Lesotho, Liban, Libéria, Malawi, Maroc, Niger, République centrafricaine, République de Corée, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Sierra Leone, Swaziland, Togo, Vietnam, Zambie.


Note 8
Résolution n° 34/36-POL, point 4.


Note 9
Voir la résolution n° 38/37-P sur La lutte contre l’islamophobie et l’élimination de la haine et des préjugés à l’égard de l’islam (point 5).


Note 10
§ 32. Le même rapporteur dans son rapport du 20 février 2008 écrit que : « La montée de l’incitation à la haine raciale et religieuse et la recrudescence de manifestations d’antisémitisme, de christianophobie et plus particulièrement d’islamophobie, constituent également des tendances particulièrement préoccupantes. Elles s’articulent autour des facteurs suivants : l’amalgame des facteurs de race, de culture et de religion, la suspicion intellectuelle et idéologique du fait religieux, le déséquilibre entre la défense de la laïcité et le respect de la liberté de religion, et l’approche sécuritaire et de contrôle de la pratique et de l’enseignement de l’islam. Un élément particulièrement préoccupant qui en résulte est la lecture sélective et politique des droits de l’homme et des libertés fondamentales, illustrée notamment par la prééminence idéologique de la liberté d’expression au détriment des autres libertés et des restrictions et limitations consacrées par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. » (§ 6).


Note 11
Art. 3 c).


Note 12
Qui s’est tenue à Téhéran, du 28 au 30 mai 2003.


Note 13
Le Communiqué final indique notamment que : « La Conférence, en rappelant la place proéminente qu’occupe l’homme en islam en tant que représentant de Dieu sur terre et partant, l’importance capitale qu’attache la pensée islamique à la promotion des droits de l’homme, et exprimant sa vive préoccupation à l’égard des tentatives d’exploiter la question des droits de l’homme pour discréditer les principes et règles de la charia islamique et de s’immiscer dans les affaires intérieures des États islamiques, a insisté sur le fait que les droits de l’homme doivent être traités sur une base objective et indivisible, sans aucune sélectivité ni discrimination. Elle a également réaffirmé le droit des États à adhérer à leurs spécificités religieuses, sociales et culturelles et a appelé à ne pas utiliser l’universalité des droits de l’homme comme prétexte pour s’immiscer dans les affaires intérieures des États et porter atteinte à leur souveraineté nationale » (Point 112).


Note 14
Point 12 de la déclaration.


Note 15
On peut notamment y lire ce passage : « Our alarm does not merely stem from concern about the lack of legal grounds, or that the said statement delves into matters which fall essentially within the domestic jurisdiction of States counter to the commitment in the United Nations Charter to respect the sovereignty of States and the principle of non-intervention. More importantly, it arises owing to the ominous usage of those two notions. The notion of orientation spans a wide range of personal choices that expand way beyond the individual’s sexual interest in copulatory behavior with normal consenting adult human beings, thereby ushering in the social normalization and possibly the legitimization of many deplorable acts including pedophilia. The second is often suggested to attribute particular sexual interests or behaviors to genetic factors, a matter that has been scientifically rebuffed repeatedly. »