Démocratie(s) des Anciens
Lorsqu'on parle de démocratie des Anciens on pense bien entendu
en priorité à l'Athènes des V e et IV e siècles, depuis les réformes de Clisthène et
d'Éphialte jusqu'à la mort de Démosthène. Et cela est tout à fait normal. La
raison n'en est pas seulement le prestige de l'Athènes classique, mais aussi le
fait que, pour aucune autre cité, et même pour aucune autre période de
l'histoire d'Athènes, nous ne possédons pareille documentation, à la fois
littéraire et épigraphique. Malgré tout, la démocratie antique ne saurait être
réduite à l'Athènes classique, qui en son temps fut d'ailleurs à la fois modèle
et exception (compte tenu de l'extension de son territoire, de l'importance de
sa population, et de son statut de cité hégémonique). Il y eut à la même époque
d'autres démocraties, et il y eut surtout, à l'époque hellénistique, une
généralisation du régime démocratique, dont certains aspects au moins
survécurent durablement jusque sous l'hégémonie romaine. Il faudrait en fait
parler de démocraties antiques, au pluriel, et celle de l'Athènes classique
elle-même connut des modifications importantes, notamment lorsqu'elle fut
rétablie après les révolutions oligarchiques des Quatre-Cents et des Trente. Mais l'étude de l'époque hellénistique (et de son prolongement sous la
domination romaine) conduit également à poser une autre question importante :
quand doit-on considérer qu'une cité cesse d'être une démocratie ? Cette
question peut avoir en fait plusieurs significations. Pour Polybe, par exemple,
puisque dans l'anacyclose qui régit selon lui l'évolution et les mutations
naturelles des régimes civiques la démocratie a vocation à dégénérer en une
forme extrême et pervertie qui est l'ochlocratie, elle signifierait avant tout :
quand une démocratie se radicalise-t-elle au point que, sous ce nom, se cache la
réalité d'une ochlocratie ? Pour l'historien moderne, au contraire, compte tenu
de l'évolution générale de la cité grecque aux époques hellénistique et romaine,
le vrai problème est de savoir à quel moment la démocratie, de façon plus ou
moins avouée, cède la place à un régime essentiellement aristocratique (ou, si
l'on préfère, oligarchique). Dans la perspective polybienne, c'est la démocratie
qui contient en elle-même le germe de sa corruption (ni plus ni moins,
d'ailleurs, que les autres formes non viciées de constitutions). La perspective
moderne, surtout lorsqu'elle associe directement la fin des démocraties avec le
triomphe de l'hégémonie romaine, met plutôt l'accent sur un déclin imposé de
l'extérieur, mais nous verrons que les choses sont plus complexes, que
l'hégémonie romaine a précipité une évolution dont les origines étaient plus
anciennes, et qu'inversement la démocratie a manifesté parfois une remarquable
capacité de résistance à un contexte général qui lui était très nettement
défavorable. S'il faut renoncer à considérer qu'il y eut un seul modèle de
démocratie antique, l'Athènes de Périclès ou celle de Démosthène, il faut plus
encore se garder de vouloir dater précisément la mort de la démocratie grecque. En réalité, l'évolution générale est incontestable, mais elle ne se déroula
certainement pas au même rythme dans toutes les cités, et il est souvent bien
difficile d'en préciser la chronologie.
Les conquêtes d'Alexandre favorisèrent le développement du système politique de
la cité pendant toute l'époque hellénistique : à côté des anciennes colonies
grecques, les cités allaient se multiplier en Asie, particulièrement en Asie
Mineure, qu'il s'agisse de fondations royales, de la transformation de villes
anciennes qui reçurent les structures de la cité grecque, ou d'un processus
simultané d'urbanisation et de transformation en cités de zones qui étaient
restées profondément rurales. Et ce phénomène devait se poursuivre lorsque le
pouvoir romain se substitua aux royaumes issus de l'éclatement de l'empire
d'Alexandre. Au fur et à mesure que l'empire romain devint un continuum de
provinces gouvernées par des magistrats (et, depuis Auguste, par des légats du
Prince) — un phénomène qui ne se fit que très progressivement dans la partie
orientale et hellénophone du bassin méditerranéen —, le pouvoir romain, qui
n'avait ni l'envie ni les moyens d'administrer directement ces territoires, les
organisait en communautés jouissant d'une certaine autonomie sous le contrôle
des gouverneurs. En Occident, Rome se servit largement du modèle du municipe
italien, avec un statut juridique qui pouvait être celui du droit latin. Mais en
Orient, à la suite des rois, elle continua à favoriser le modèle grec de la
cité, en sorte que le phénomène d'urbanisation et de transformation en cités,
commencé à l'époque hellénistique, ne s'acheva véritablement qu'à l'époque
impériale.
Cette généralisation de la cité, qui se fit donc en grande partie sous le
contrôle et même à l'initiative des grandes monarchies hellénistiques puis de
Rome, n'impliquait pas nécessairement une généralisation de la démocratie. Il
est vrai qu'Alexandre avait favorisé les démocraties en Asie Mineure, en
réaction contre des oligarchies qui s'étaient appuyées sur le pouvoir perse,
mais ses successeurs immédiats eurent une politique beaucoup plus fluctuante. Des régimes ouvertement oligarchiques, où une qualification censitaire était
exigée pour que les citoyens pussent participer à l'Assemblée, furent mis en
place par les premiers successeurs d'Alexandre, à Athènes, par Antipater en 322
puis (de façon moins rigoureuse) par Cassandre en 317, à Cyrène par Ptolémée
I er en 321, à Éphèse par Lysimaque en 287,
mais l'option oligarchique fut assez vite abandonnée, et lorsque les rois
voulurent étroitement contrôler des cités, ils y établirent plutôt des tyrans :
telle fut en particulier la politique des Antigonides en Grèce, sous Antigone
Gonatas et encore Démétrios II, une politique qui ne fut abandonnée que par
Antigone Dôson, qui exerça le pouvoir à partir de 229.
La documentation épigraphique montre que la démocratie était manifestement
considérée par les cités comme la forme normale de gouvernement, la
patrios politeia par excellence, et c'est pourquoi
elle fut finalement acceptée par les rois eux-mêmes : les rivalités qui les
opposaient les conduisirent parfois à se concilier les cités en promettant de
protéger leurs lois et leur démocratie, et elles les dissuadèrent en tout cas
d'asseoir leur hégémonie sur des formes de gouvernement, oligarchique ou
tyrannique qui n'avaient aucune chance de se faire librement accepter, et qui
seraient renversées dès que l'opportunité s'en présenterait.C'est
essentiellement dès le dernier tiers du IV e siècle
que la démocratie s'imposa (et, pourrait-on dire, fut imposée aux monarchies)
comme le mode de gouvernement normal d'une cité
[1] .
Ce contexte explique l'apparition d'un usage nouveau du terme
dèmocratia au sens de « souveraineté »,
« indépendance » d'une cité (ou d'une confédération) dans un certain nombre
d'inscriptions de l'époque hellénistique. L'un des textes les plus significatifs
est sans doute un décret de Colophon (Ionie) en l'honneur de Ménippos, datable
du dernier tiers du II e siècle av. n. è., et
publié par L. et J. Robert. Nous sommes peu après la création de la province
d'Asie, alors que les Romains viennent de succéder à la monarchie pergaménienne,
et Colophon, qui n'avait pas été assujettie à cette dernière, est extrêmement
soucieuse de conserver son indépendance. C'est pourquoi l'un de ses citoyens,
Ménippos, n'alla pas moins de cinq fois en ambassade auprès du Sénat, pour
obtenir satisfaction quant aux revendications territoriales de la cité, et pour
empêcher que le proconsul romain, de sa propre initiative ou à l'instigation des
adversaires de Colophon, prétende intervenir dans les affaires de cette
dernière.De l'une de ces ambassades, il rapporta un sénatus-consulte précisant
que, « en dehors de la province, il ne convient au gouverneur ni de juger ni de
se mêler de tout », et le décret en l'honneur de Ménippos porte alors ce
jugement : « c'est une réponse tout à fait conforme à la démocratie, et très
belle »
[2] . La
démocratie, dans ce texte, ne désigne pas un certain type de régime, mais le
fait que le peuple de Colophon reste maître chez lui, puisque le gouverneur a
reçu instruction du Sénat lui-même de ne pas intervenir en dehors de sa
province, et donc de ne pas se mêler des affaires des cités libres. Un terme
complémentaire utilisé par le décret est celui d'autonomie : une autre ambassade
de Ménippos réagissait au fait que « ceux qui venaient en Asie [c'est-à-dire les
gouverneurs] soustrayaient les tribunaux aux lois [de la cité] pour les faire
passer sous leur propre pouvoir », et obligeaient les Colophoniens contre qui
était introduite une procédure judiciaire à fournir caution.Par le succès de
son ambassade, nous dit le décret, Ménippos « a libéré les habitants de la cité
des cautions exigées et du pouvoir du gouverneur, la province étant bien séparée
de l'autonomie »
[3] : on
retrouve cette idée d'une frontière étanche entre la province, où le gouverneur
peut exercer ses pouvoirs, et le territoire de la cité libre, qui n'est régie
que par ses lois. Il est remarquable que le décret de Colophon n'utilise pas le
mot
éleuthéria (alors que les Romains parlent
de
populi liberi ou de
ciuitates liberae pour les cités qui ont le
privilège de ne pas faire partie de la
prouincia d'un gouverneur), mais les deux mots
autonomia et
dèmokratia .Non moins significative est une inscription bilingue
élevée sur le Capitole par les Lyciens quand les Romains, qui en 189 les avaient
placés sous la dépendance des Rhodiens, les en eurent libérés peu après 168 : le
latin [
ab co]munei restitutei in maiorum leibert[atem
Lucei ] (« les Lyciens de la confédération qui ont recouvré leur
liberté ancestrale ») traduit le grec
Λυκίων τὸ κοινὸν
κομισάμενον τὴν πάτριον δημοκρατίαν (« la confédération des
Lyciens qui a recouvré sa démocratie ancestrale »)
[4] .
De textes où il était question des rapports entre les cités et les monarchies
hellénistiques, on pouvait être tenté de déduire que le sens du mot
dèmokratia se serait affaibli au point de désigner
toute forme de gouvernement républicain.Ainsi voit-on les Achéens, en 185,
refuser les 120 talents que leur proposait le roi Eumène de Pergame, et dont les
intérêts devaient servir à indemniser les bouleutes, après qu'Apollonidas de
Sicyone leur eut rappelé que « les intérêts des rois et ceux des démocraties
sont naturellement contraires, et que les décisions les plus nombreuses et les
plus graves que (les Achéens) avaient dû prendre avaient toujours porté sur les
différends avec les rois »
[5] . Cette divergence d'intérêts, en fait, n'était pas liée à une différence de
régimes politiques.Ainsi que les Rhodiens l'avaient déclaré en 189 devant le
Sénat romain, « toute monarchie est naturellement hostile à l'égalité, et
cherche à ce que tous, ou du moins le plus grand nombre, lui soient assujettis
ou lui obéissent »
[6] . L'égalité dont parlaient les Rhodiens n'est pas l'égalité entre citoyens dans
une cité, mais l'égalité entre États : l'idée est que toute monarchie est, par
nature, hégémonique. Mais les Rhodiens se sont eux aussi conduits en cité
hégémonique, vis-à-vis des Lyciens. Les textes qui célèbrent la démocratie
retrouvée contre l'hégémonie rhodienne, ou la démocratie maintenue contre les
tentatives d'interventions des proconsuls romains dans une cité libre, montrent
bien que le mot « démocratie » n'a pas le sens de « république », mais bien
plutôt de « souveraineté », et ce sens convient tout aussi bien quand il est
question des rapports entre les cités et les rois. Il n'y a pas affaiblissement
du sens, mais recontextualisation : une hégémonie trop lourde (qu'elle soit le
fait de rois ou de cités comme le sont Rome ou Rhodes) est incompatible avec la
démocratie, en particulier lorsqu'elle empêche la cité de jouir de l'autonomie,
c'est-à-dire de se gouverner et d'administrer la justice selon ses propres lois.
Il fallait, me semble-t-il, que le mot démocratie se fût imposé comme le mode de
gouvernement normal d'une cité, la
patrios
politeia par excellence, pour qu'il pût également prendre ce sens,
chronologiquement second, de « souveraineté ». Si la démocratie devient un idéal
de la cité hellénistique, c'est donc à un double niveau : sur le plan
strictement institutionnel, la démocratie s'oppose avant tout à la tyrannie et
implique aussi (par opposition à des régimes ouvertement oligarchiques) que tous
les citoyens aient le droit de participer à l'Assemblée ; sur le plan des
rapports avec les puissances hégémoniques, la démocratie implique que le
fonctionnement de la cité ne soit pas soumis au contrôle d'un représentant d'une
puissance hégémonique, épistate ou autre, mais aussi qu'elle puisse vivre selon
ses propres lois. L'idéal, bien sûr, sera souvent contraint de composer avec la
réalité, et les cités pourront souvent se satisfaire d'apparences de démocratie. Lorsqu'en 51 Cicéron partit gouverner la Cilicie, il s'inspira sur plusieurs
points de l'édit de Q. Mucius Scaevola, un gouverneur d'Asie des années 90 qui
s'était illustré par son intégrité et s'était acquis la reconnaissance durable
des cités grecques (il fut le premier magistrat romain en l'honneur de qui
furent institués des concours pentétériques). Il reprit en particulier une
clause par laquelle le gouverneur s'interdisait par avance d'intervenir dans les
conflits entre citoyens d'une même cité et renvoyait les plaignants aux
tribunaux de leurs cités, et, dans ses lettres à Atticus, d'un ton un peu
méprisant, il souligne combien cette mesure fut populaire, les Grecs ayant
l'impression d'avoir recouvré la liberté et l'autonomie.Cicéron utilise à deux
reprises le mot grec
autonomia [7] . Il se garde bien de
parler de
dèmokratia , et rien sans doute ne
lui aurait déplu davantage que de passer pour avoir rétabli la démocratie des
cités de sa province. Mais il n'est pas exclu que les Grecs, eux, aient utilisé
ce mot :
autonomia et
dèmokratia sont des valeurs naturellement liées,
comme nous l'avons vu dans le décret de Colophon en l'honneur de Ménippos. En
revanche, il est incontestable que les édits de Q. Mucius puis de Cicéron ne
concédaient pas aux cités provinciales une autonomie judiciaire comparable à
celle que les ambassades de Ménippos avaient garantie à la cité libre de
Colophon : le gouverneur, en particulier, ne s'interdisait en aucune façon
d'intervenir lorsqu'une des parties, le défenseur ou même le demandeur, était
citoyen romain, en sorte que l'autonomie dont se réjouissaient tant les cités de
la Cilicie restait une autonomie juridictionnelle limitée.
Nous avons jusqu'ici essentiellement utilisé des inscriptions, car le naufrage de
la littérature d'époque hellénistique, et de la prose en particulier, fait que
nous n'avons plus ni œuvres oratoires, ni récits historiques contemporains des
événements, et que la philosophie politique est elle aussi réduite à de
misérables fragments. La seule exception notable est celle de Polybe, bien que
des 40 livres de ses
Histoires nous ne conservions plus
que des
excerpta plus ou moins abondants à partir du
sixième, et cette œuvre fut écrite au milieu du II e siècle, alors que le pouvoir romain venait spectaculairement
d'établir son hégémonie sur l'ensemble du bassin méditerranéen, et que les
cités, sortant du monde multipolaire des grandes monarchies hellénistiques,
devaient affronter l'expérience inédite de l'émergence d'une superpuissance
unique. Homme cultivé, Polybe n'était pas un philosophe, mais un homme d'action,
qui trouva dans l'écriture de l'histoire une compensation à la double ruine de
ses ambitions politiques, d'abord par sa déportation à Rome, puis par
l'effondrement de la Confédération achéenne. Ce sont la caprices de la tradition
des textes antiques qui ont fait du livre VI de ses
Histoires un des textes canoniques de la pensée politique grecque,
à côté de plusieurs dialogues de Platon et de la
Politique d'Aristote. Si artificiel qu'il soit par bien des
aspects, le rapprochement entre les textes d'Aristote et de Polybe n'en est pas
moins riche d'enseignements.
La terminologie aristotélicienne est complexe. Lorsqu'il donne une classification
générale des types de gouvernement (
politeiai ), Aristote réserve le mot « démocratie » à la déviation, la
forme défectueuse, de ce qu'il appelle «
politeia » , c'est-à-dire le gouvernement de la cité par le plus
grand nombre, mais en vue de l'intérêt général et non de l'intérêt exclusif des
pauvres (
Pol. III, 7, 1279a). Mais plus loin il
distingue plusieurs types de démocraties, dont les premières ont en commun que
la loi reste souveraine, tandis que « celle qui chronologiquement est apparue la
dernière » vient de ce que l'accroissement de la cité et de ses ressources
financières a permis de verser aux pauvres une indemnité pour qu'ils puissent
participer au gouvernement, et de ce que, n'ayant rien d'autre à faire, les
pauvres ont fini par contrôler l'Assemblée et prendre des décisions dans leur
intérêt exclusif. Cette fois, la démocratie désigne tout gouvernement de la cité
par le plus grand nombre, pas seulement sa forme ultime et défectueuse, au point
qu'Aristote considère comme une première forme de démocratie, bien qu'elle ait
encore quelque chose d'oligarchique, un gouvernement modérément censitaire (IV,
6, 1292b–1293a).Il dessine d'autre part une évolution continue, liée à
l'accroissement de la cité et de ses ressources, qui mène de l'oligarchie à la
démocratie radicale, et lorsqu'il écrit : « maintenant que les cités se sont
développées, il est peut-être difficile que s'y instaure un autre régime que la
démocratie »
[8] , c'est
le modèle historique athénien qu'il généralise, et la démocratie dont il prédit
la généralisation est la démocratie radicale, qu'au demeurant il réprouve.La
démocratie radicale s'est en quelque sorte approprié l'usage du mot
« démocratie », au point, dit-il, qu'on recourt au terme de
politeia pour désigner une forme de gouvernement
que les générations précédentes avaient appelée « démocratie »
[9] . Aristote, toutefois, ne
va pas jusqu'à écrire que la véritable démocratie serait la
patrios politeia appelée de leurs vœux par les
adversaires du régime en vigueur à Athènes.Ayant, avec Théophraste son
disciple, réuni sur les institutions des cités une documentation d'une
exceptionnelle richesse
[10] , il était beaucoup plus conscient que Platon de l'extraordinaire diversité
des formes de gouvernement mais, tout en voyant bien que la démocratie n'était
pas uniforme
[11] , il n'en
persiste pas moins à l'identifier avant tout à une forme extrême et défectueuse
de gouvernement.
Polybe n'avait aucune sympathie, lui non plus, pour la démocratie athénienne, et
il rejetait catégoriquement l'idée qu'elle ait pu être à l'origine de la
grandeur passée de la cité (6, 44). Mais la terminologie qu'il adopte dans son
livre VI est bien différente de celle d'Aristote.Pour lui, le nom de démocratie
s'attache à la forme de gouvernement populaire qui reste respectueuse des lois
et des coutumes, et lorsque ce gouvernement populaire, à son tour, se livre aux
excès et à l'illégalité, même s'il continue à se parer des « dénominations les
plus belles : la liberté et la démocratie », il n'est plus qu'une ochlocratie,
la domination de la populace
[12] . Polybe n'a certainement pas inventé cette opposition entre
une démocratie vertueuse et une ochlocratie dévoyée, bien que nous ne puissions
ni en identifier l'origine ni en dater l'apparition. Le renversement
terminologique que nous observons entre Aristote et Polybe a en tout cas une
double implication : d'une part, la démocratie n'est plus véritablement
contestée, elle est au contraire « le plus beau des noms » ; mais, d'autre part,
cette démocratie n'est véritable que lorsqu'elle reste modérée, et sa forme
radicale, l'ochlocratie, est ce qu'il y a de pire, un retour au « régime de la
violence et de la force brutale » (
βία καὶ
χειροκρατία : 6, 9, 7–9).
Le texte polybien où l'on trouve l'éloge le plus chaleureux d'une constitution
démocratique se trouve dans le livre II, et il ne concerne pas une cité, mais la
Confédération achéenne. Tout comme le livre VI a pour fonction d'expliquer que
l'hégémonie de Rome n'est pas un caprice de la Fortune, qu'elle sera durable
parce qu'elle se fonde sur l'excellence de ses institutions pour la réalisation
d'un projet hégémonique, Polybe souligne que le succès de la Confédération, qui
est parvenue à unifier le Péloponnèse, n'est pas dû lui non plus à la Fortune,
mais à la qualité de ses institutions, pour la réalisation cette fois d'un
projet égalitaire : « on ne saurait trouver un régime et un idéal d'égalité, de
liberté, en un mot de véritable démocratie, plus parfaits que chez les
Achéens... Car il ne réserve aucun privilège aux membres anciens, il accorde une
égalité totale aux nouveaux adhérents, et c'est ainsi qu'il a très vite réalisé
son programme avec deux auxiliaires très puissants, l'égalité et la libéralité. Voilà ce qu'il faut considérer comme le moteur et la cause de l'actuelle
prospérité que l'union du Péloponnèse fait régner dans le pays »
[13] . Le développement de
Confédérations, d'abord ethniques puis dépassant les limites d'un
ethnos , est un des aspects les plus intéressants
de l'histoire de la Grèce à l'époque hellénistique, et, même s'il feint
d'oublier dans ce panégyrique le fait que l'intégration de Sparte et Messène
dans la Confédération achéenne fut imposée et non volontaire, même s'il ignore
la gravité des ressentiments de ces cités, qui seront à l'origine de
l'effondrement de la Confédération, Polybe n'a pas tort lorsqu'il souligne le
caractère égalitaire d'un
koinon qui n'est
pas organisé autour d'une cité hégémonique. On trouve dans ce texte un autre
usage encore du mot
dèmokratia : après le
mode de gouvernement d'une cité où aucun citoyen n'est exclu de la participation
à la vie politique, après la souveraineté d'une cité face aux prétentions des
puissances hégémoniques, il s'agit cette fois de la réunion de cités dans un
système confédéral fondé sur l'égalité de ses membres (aucune cité n'exerçant
l'hégémonie, et aucune n'étant exclue des instances et des fonctions exécutives
de la Confédération).
Si, comme je le pense, seuls les deux premiers livres des
Histoires furent publiés dans l'hiver 150/149
[14] , il y eut entre la publication du
livre II et celle du livre VI un événement majeur pour Polybe : le rejet par la
Confédération achéenne des exigences romaines à l'occasion d'un nouvel épisode
du conflit récurrent entre Sparte et la Confédération, l'envoi d'une armée
romaine contre les Achéens, et pour finir la destruction de Corinthe et la
dissolution de la Confédération.Polybe, on le sait, était alors absent, appelé
à rejoindre l'armée romaine qui assiégeait Carthage, mais à son retour il
collabora à la réorganisation du Péloponnèse par les Romains et à la mise en
place de nouvelles institutions que certains considérèrent comme l'abolition de
la démocratie
[15] .Nul
doute qu'à ses yeux la démocratie achéenne avait en réalité été détruite avant
même l'intervention des Romains, par la dérive ochlocratique conduite par
Critolaos et Diaïos
[16] ,
et que l'histoire achéenne aura renforcé en lui l'idée que la démocratie était
fragile, qu'elle était avant tout menacée de l'intérieur, par l'aveuglement de
dirigeants prêts à manipuler les foules pour conforter leur propre pouvoir. Pour
justifier son action politique dans le Péloponnèse, Polybe devait à la fois
exonérer les Romains de l'accusation d'avoir froidement voulu mettre fin à la
puissance achéenne, et rejeter l'idée que l'intégration forcée de Sparte et de
Messène par Philopoemen, son modèle politique, avait été la cause ultime du
conflit avec Rome. Il devait montrer que les origines de la catastrophe étaient
à chercher dans la Confédération elle-même, mais dans l'action d'autres hommes
politiques, qui avaient abusé les Romains tout comme leurs propres compatriotes,
et conduit finalement leur patrie à l'abîme. Pour cela, il n'hésitait pas à
remonter trente cinq ans en arrière, jusqu'à Callicratès qui déjà avait été « à
l'origine de grands malheurs pour tous les Grecs et les Achéens en
particuliers » (24, 10, 8) : envoyé en ambassade à Rome, il aurait délibérément
violé la mission qui lui était confiée, et expliqué au Sénat que, s'il voulait
obtenir que les Achéens respectent ses exigences en infraction à leurs propres
lois, il devait renforcer la position de ses partisans au sein de la
Confédération. D'autre part, il dénonçait avec la plus grande violence l'action
des responsables immédiats du conflit avec Rome, Critolaos et Diaïos. Le livre
VI n'inclut pas la
politeia achéenne parmi
celles qui sont comparées à la
politeia
romaine. La raison n'en est pas la disparition de la Confédération en 146,
puisque Carthage aussi fut détruite la même année, et que ses institutions sont
longuement prises en compte : c'est que le livre VI se place du point de vue
d'une cité ayant d'ambitieux desseins hégémoniques (c'est de ce point de vue que
les institutions de Lycurgue sont totalement inefficaces, et que Carthage, au
moment des guerres avec Rome, était inférieure à cette dernière), alors que les
institutions achéennes étaient au contraire adaptées à un projet non
hégémonique, réunissant un nombre croissant de cités sur un principe d'égalité.
En revanche, il me semble que la crise achéenne de 147–146 a laissé son
empreinte sur la description polybienne de la corruption d'une démocratie en
ochlocratie : cette dernière a lieu, écrit-il, lorsque les homme politiques,
abandonnant les valeurs de l'
isègoria et de
la
parrhèsia (celles-là même qui dans le
livre II caractérisaient la Confédération achéenne)
[17] , mus par la passion du pouvoir,
cherchent à tout prix à l'emporter en employant tous les moyens « pour appâter
et corrompre les masses ». Les ennemis de la démocratie achéenne, pour Polybe,
étaient donc d'un côté des hommes comme Callicratès, qui incita les Romains à
imposer leurs vues en violation de l'autonomie (l'opposé, en quelque sorte, d'un
Ménippos de Colophon), et de l'autre des hommes comme Critolaos et Diaïos, qui
précipitèrent l'évolution de la démocratie vers l'ochlocratie.
Rhodes fut sans doute la cité la plus puissante de l'époque hellénistique, et
elle conserva incontestablement des institutions démocratiques. La documentation
épigraphique, malheureusement, est beaucoup moins importante que celle
d'Athènes, mais il existe un certain nombre de textes qui nous fournissent des
informations particulièrement intéressantes. Le plus riche se trouve dans le
De republica de Cicéron (3, 48), où Rhodes est
l'exemple d'une « bonne » démocratie. Il est censé décrire la cité telle que la
connut Scipion Émilien lors de sa grande ambassade en Orient de 140–138, mais
Cicéron doit s'inspirer de son expérience personnelle, lorsqu'il séjourna à
Rhodes pour parfaire sa formation rhétorique entre 79 et 77 : « les mêmes
citoyens étaient tous tantôt plébéiens tantôt sénateurs, et tour à tour, selon
les mois, ils faisaient office de simple citoyen et de sénateur (ils recevaient
d'ailleurs dans l'un et l'autre cas une indemnité, au théâtre comme à la curie).
C'est encore eux qui jugeaient des affaires capitales et de toutes les
autres »
[18] . Ces
lignes montrent que le Conseil était accessible à tous les citoyens, que les
affaires judiciaires étaient confiées à un tribunal populaire auxquels tous les
citoyens, une fois encore, pouvaient être amenés à siéger, et que les citoyens
membres du Conseil, mais aussi ceux qui participaient à l'Assemblée, recevaient
une indemnité.Un discours de Dion de Pruse montre que l'indemnité continuait à
être versée aux membres du Conseil et aux juges à la fin du I er siècle de notre ère, mais l'indemnité pour
participation à l'Assemblée semble alors avoir disparu
[19] ; ce qui n'empêchait pas que pour
Dion, comme un peu plus tard pour Aelius Aristide
[20] , Rhodes était incontestablement une
démocratie.
Un seul texte fait exception, et il se situe chronologiquement entre les
témoignages de Cicéron et de Dion.Strabon n'hésite pas à écrire, en effet, que
« les Rhodiens veillent aux intérêts du peuple, bien que n'ayant pas un régime
démocratique »
[21] . Nous n'avons pourtant aucune raison de penser qu'à l'époque augustéenne les
institutions rhodiennes aient été modifiées dans un sens oligarchique, avant de
redevenir démocratiques, et cela nous conduit à examiner d'un peu plus près ce
qu'écrit Strabon à propos des régimes politiques des cités. En fait, il ne donne
véritablement de détails que pour Athènes et Rhodes, mais ces détails sont
intéressants. À ses yeux, le régime athénien fut démocratique depuis que la cité
n'eut plus de rois, à l'exception de la tyrannie de Pisistrate et de ses fils,
de l'oligarchie des Quatre-Cents et des Trente, et des tyrannies imposées par
Mithridate, en particulier celle d'Aristion.Il ne dit rien du régime
oligarchique mis en place par Antipater ; quant au gouvernement de Démétrios de
Phalère, lorsqu'Athènes fut soumise à Cassandre, Strabon considère, en faisant
explicitement référence aux
Mémoires de Démétrios, que
« loin de ruiner la démocratie, il la réforma », même s'il doit admettre que
« son impopularité et la haine de l'oligarchie prirent tellement le dessus
qu'après la mort de Cassandre Démétrios de Phalère fut obligé de s'exiler en
Égypte »
[22] . Quant à
Rhodes, Strabon commence par en faire le plus grand éloge, en particulier du
point de vue des institutions : « remarquable en sont le bon gouvernement et le
souci porté aux affaires de l'État en général, et en particulier à la marine,
qui pendant longtemps lui assura la maîtrise des mers, lui permit de réprimer la
piraterie, et lui gagna l'amitié des Romains et de ceux des rois qui sont
dévoués aux intérêts des Romains et des Grecs.C'est ce qui lui a permis de
rester autonome »
[23] . Vient ensuite la remarque sur le fait que les Rhodiens, sans être dominés par le
peuple, ont le souci de son bien-être, avec des précisions sur une politique
d'approvisionnement et d'assistance
[24] , mais rien sur le versement d'indemnités pour la
participation à l'assemblée (dont parle Cicéron), au Conseil et aux tribunaux
(dont parle encore Dion de Pruse). On a l'impression que pour Strabon la
démocratie a cessé d'être « la dénomination la plus belle », pour reprendre la
formulation de Polybe. Non seulement l'oligarchie modérée de Démétrios de
Phalère est approuvée comme une correction de la démocratie trop radicale (ce
qui n'aurait peut-être pas choqué Polybe), mais encore, et surtout, on a
l'impression que la cité de Rhodes, dont on loue l'
eunomia et dont on souligne qu'elle a su se gagner l'amitié des
Romains, doit être en quelque sorte lavée du soupçon d'être une démocratie. Ce
qui complique encore les choses, c'est que le survol historique concernant
Athènes s'arrête avec la reconquête de la cité par Sylla, et que le texte sur
Rhodes ne dit rien de la terrible épreuve que fut la prise de la ville par
Cassius en 42. On pourrait être tenté de faire remonter aux
Histoires de Posidonius (originaire d'Apamée de Syrie, mais
installé à Rhodes dont il reçut la citoyenneté) l'essentiel des notices de
Strabon, mais la négation d'une démocratie rhodienne serait encore plus
surprenante de la part d'un homme qui exerça des magistratures dans sa cité
d'adoption et fut envoyé par elle en ambassade à Rome. Quoi qu'il en soit des
sources de Strabon, son texte me paraît manifester un second retournement
terminologique après celui que nous avions observé entre Aristote et Polybe, et
il est de ce point de vue significatif d'une évolution que l'on constate pendant
la période de la domination romaine.
V.Gabrielsen a consacré à la Rhodes hellénistique un ouvrage qu'il a intitulé
The Naval Aristocracy of Hellenistic Rhodes [25] .Come l'auteur en
convient, « as far as the main political institutions are concerned, Hellenistic
Rhodes, before and after
circa 150 BC, was
amply equipped to qualify as a genuine democracy, both by the standards of
Aristotle's constitutional analysis in the fourth century and by those of
Polybios in the second »
[26] , mais, objecte-t-il, « formal constitutional rights, arrangements, and labels
are one thing ; quite another matter is where power is actually wielded, with
possession of wealth as the master-key to any door », tout en ajoutant « that a
wealthy élite had considerably more than its due share of influence in the
decisions of the state is, however, a view easy to propound, attractive to
endorse, but quite difficult to buttress with surdy proof »
[27] . Il est tout à fait légitime, et même
nécessaire, d'étudier la structure de la société rhodienne, et d'essayer de voir
par quels moyens elle permit à une aristocratie (ou une oligarchie) de garder le
contrôle d'institutions démocratiques. Mais, si le progrès des études sur la
chronologie des magistrats rhodiens et sur leur prosopographie parvient à
l'établir, sera-t-on pour cela en droit de parler de la Rh odes hellénistique
comme d'une aristocratie ? Il faut se garder, me semble-t-il, de trop rapidement
considérer les institutions comme une simple apparence (voire un faux-semblant),
alors que l'analyse des réalités relèverait de la seule histoire sociale.
Nous avons vu que l'oligarchie au sens strict, restreignant l'accès de
l'Assemblée aux possesseurs d'un certain cens, avait pratiquement disparu à
l'époque hellénistique (avec quelques exceptions, bien sûr, comme Massalia, qui
avait gardé sa vieille constitution oligarchique). Nous n'avons aucune raison de
supposer que cette forme d'oligarchie ait été rétablie, ni à l'époque
hellénistique, ni même sous la domination romaine.Lorsqu'en 194 Flamininus
voulut rétablir l'ordre en Thessalie, il le fit en « faisant désigner
essentiellement en fonction du cens le Sénat et les juges »
[28] , sans toucher semble-t-il au
fonctionnement de l'Assemblée.De même, selon Pausanias, Mummius en 146 « mit
fin aux gouvernements démocratiques et établit des charges fondées sur la
fortune »
[29] : ces
archai pouvaient peut-être inclure les
fonctions de juges et de synèdres, mais il n'est pas question, en tout cas, de
restriction de la participation aux Assemblées. Rien là de surprenant, puisqu'à
Rome même la participation aux comices était de droit pour tous les citoyens. Les différences entre assemblées romaine et grecque étaient tout autres : d'une
part, dans l'assemblée romaine l'unité de vote n'était pas l'individu mais le
groupe dans lequel chaque citoyen était recensé (tribus et centuries dans les
comices de Rome, curies dans les municipes), ce qui pouvait, dans le cas des
comices centuriates, entraîner un poids très inégalitaire du vote individuel en
fonction du cens, et, de fait mais non de droit, priver les plus pauvres de la
possibilité de voter ; d'autre part l'assemblée romaine distinguait nettement la
contio , où l'on argumentait, des
comitia , où l'on votait, et dans la
contio réservait le droit de prendre la
parole aux magistrats ou à des individus introduits par le magistrat qui avait
convoqué la réunion. Les Romains n'essayèrent jamais de transformer les
ekklèsiai grecques sur le modèle des
contiones ou des
comitia romains. L'
ekklèsia
continua de se réunir dans le théâtre, avec des citoyens assis et non debout, et
à être un lieu où l'on pouvait débattre avant de voter : elle fut
incontestablement, et durablement jusque sous le Principat, ce qui distingua le
plus nettement une cité grecque d'un municipe romain ou latin, et ce qui
subsista de la démocratie grecque.
En revanche, son importance fut sensiblement réduite par un accroissement des
pouvoirs des autres organes de gouvernement, les magistrats et le Conseil, et
par une transformation profonde de la nature du Conseil. Faute d'informations
provenant des sources littéraires, nous devons tirer parti des inscriptions,
mais nous nous heurtons à un certain nombre de difficultés dont il faut tenir
compte. Tout d'abord, nous souffrons terriblement de ce qu'en Grèce, et aussi en
Asie Mineure, la documentation épigraphique se raréfie considérablement pendant
le dernier siècle de l'époque hellénistique, puis n'augmente que progressivement
à partir d'Auguste, et ne devient véritablement abondante qu'au II e siècle de notre ère, c'est-à-dire alors que
l'évolution dont nous voudrions saisir les étapes est pratiquement parvenue à
son terme. D'autre part, l'épigraphie d'époque impériale est riche en
inscriptions honorifiques et en base de statues, mais elle est relativement
pauvre en décrets, et ce sont les formules d'introduction des décrets qui,
précisément, nous donnent les informations les plus précieuses sur les rapports
entre les magistrats, le Conseil et l'Assemblée dans le processus de prise de
décision. Les changements de pratique épigraphique sont toujours difficiles à
interpréter, et il n'est pas certain que celui-ci soit la conséquence directe de
modifications institutionnelles, mais il nous prive de l'essentiel : savoir
qu'un honneur a été pris par le Conseil et par le Peuple en ignorant qui a
proposé ce décret au Peuple, et qui l'a proposé au Conseil, ne nous est pas d'un
grand secours. Il paraît néanmoins évident que le processus de proposition à
l'Assemblée tendait à être de plus en plus encadré, et pratiquement réservé aux
magistrats et au Conseil.
En ce qui concerne les Conseils, les Romains ont dû favoriser dès l'origine un
renforcement de leurs compétences et des exigences de qualification (censitaire
notamment) pour y accéder. La substitution de
συνέδρια aux
βουλαί , largement
attestée en Grèce après 146, ne doit pas être une pure modification
terminologique, mais correspond très probablement à une transformation plus
profonde, que les Romains auront imposée dans les cités de l'ancienne
Confédération achéenne, et dont ils auront encouragé la diffusion là où ils ne
pouvaient donner des ordres en vainqueurs.Polybe qualifie déjà de
δημοκρατικὴ καὶ
συνεδριακὴ
πολιτεία [30] les institutions données par
Paul-Émile aux Macédoniens en 167. Mais la grande mutation, que l'on pressent
dans les cités sans en voir clairement les étapes, est plus tardive. C'est celle
qui transforma les
βουλευταί (ou les
σύνεδροι ) en un groupe comparable à l'
ordo decurionum dans les municipes : on est
bouleute à vie (même si la participation effective au Conseil peut continuer à
se faire par tour au sein du groupe), et les fils de bouleutes ont bien sûr
vocation à devenir bouleutes à leur tour. Ainsi le corps civique se divise-t-il
en deux catégories bien hiérarchisées : les simples citoyens, qui n'ont accès
qu'à l'Assemblée, et les bouleutes, qui ont accès au Conseil et aux charges
supérieures de la cité, et dont la supériorité se manifeste constamment, y
compris, comme à Delphes sous Hadrien, lorsqu'une loi lotissant des terres
publiques leur attribue une fois et demie ce que peut recevoir un simple
citoyen. Grâce à la correspondance de Pline le Jeune avec Trajan lorsqu'il
gouverna la province de Pont-Bithynie en tant que légat de l'empereur, nous
savons qu'une telle réforme fut introduite par Pompée lorsqu'en 63 il donna des
lois aux anciens royaumes de Mithridate et de Nicomède : les Conseils étaient
essentiellement composés d'anciens magistrats et régulièrement complétés par des
censeurs procédant à une
lectio , tout à fait
selon le modèle romain. Pompée aura eu plus de facilité à introduire ces mesures
dans une province où se trouvaient quelques cités grecques anciennes, mais aussi
beaucoup de fondations royales récentes, ou de cités nouvelles créées par le
Romain lui-même. Ailleurs en Asie Mineure, et à plus forte raison en Grèce
d'Europe, les Romains ne procédèrent pas aussi autoritairement, mais ils durent
encourager vivement une évolution à laquelle les cités, d'une certaine façon,
s'étaient déjà préparées.
Dans son livre sur
La cité grecque et ses
bienfaiteurs [31] , Philippe Gauthier a montré comment, dans le courant du II e siècle avant notre ère, plus ou moins tôt selon
les régions et les cités, apparaît une catégorie nouvelle de « grands évergètes
citoyens ». L'un des modes d'intervention royale dans les cités avait été d'en
faire leurs obligées par des actes de générosité. Les cités avaient rarement
refusé ces évergésies (l'attitude des Achéens envers la proposition du roi de
Pergame Eumène, dont nous avons parlé, est de ce point de vue une exception, pas
du tout la règle), et elles leur avaient répondu par la mise en place d'honneurs
nouveaux (allant jusqu'aux honneurs cultuels). L'affaiblissement des monarchies
provoqué par l'expansion romaine ayant tari les générosités royales, les cités
durent compter sur le dévouement des plus riches citoyens, et de même que ces
citoyens rendirent à la cité des services (politiques et financiers) qui avaient
auparavant été le monopole des rois, de même la cité les honora-t-elle comme
elle avait honoré les rois. C'est ainsi, en particulier, que dans les dernières
décennies du II e siècle, on constate que « tous
ces “grands évergètes” sont loués pour les vertus qu'ils ont héritées de leurs
ancêtres et qu'ils ont manifestées, précise-t-on, “dès leur plus jeune âge”,
c'est-à-dire sans attendre que telle charge ou telle mission délicate leur aient
donné l'occasion de les “révéler”. Distingués par des vertus natives, les grands
évergètes sont officiellement élevés au-dessus de la masse des autres citoyens ;
aux yeux mêmes de ceux qui sont en principe leurs “pairs”, ils forment un petit
groupe à part et pour ainsi dire héréditaire.En cela ils sont devenus
comparables aux rois, dont ils ont revêtu les dépouilles »
[32] . Les rois avaient constitué une menace
directe contre la démocratie, en tant que souveraineté exercée par la cité sur
son territoire. Mais le phénomène des « grands évergètes citoyens », qui bien
entendu ne pouvait que perdre progressivement son caractère exceptionnel et
s'étendre à tous ceux qui se distinguaient par leur naissance, leur richesse et
leur dévouement pour la cité, constituait une autre menace, insidieuse mais non
moins réelle, contre la démocratie, cette fois en tant que mode de gouvernement
fondé sur l'égalité entre les citoyens. Se constituait ainsi, en effet, le
terreau favorable à la reconnaissance institutionnelle d'une hiérarchie civique. Simultanément, le renforcement du pouvoir des Conseils, décidé ou encouragé par
les Romains, entraînait des phénomènes de plus en plus visibles de distinction
des bouleutes comme catégorie privilégiée au sein du corps social (à l'occasion,
en particulier, des fêtes, des banquets publics)
[33] . L'ultime étape conjuguant ces deux
évolutions fut la transformation des bouleutes en un ordre viager et
héréditaire : dès lors, me semble-t-il, en dépit du maintien d'une Assemblée
ouverte à tous, on ne peut plus parler d'une véritable démocratie.
Je voudrais clore ces remarques en signalant deux textes récemment publiés, qui
datent tous deux du règne de l'empereur Claude, et qui éclairent remarquablement
bien ce phénomène de la disparition ou du déclin de la démocratie sous
l'influence de l'hégémonie romaine. Le premier est le célèbre stadiasme de
Patara, un monument dédié à Claude par la Confédération lycienne avec
l'autorisation, et sans aucun doute à l'instigation, du légat propréteur Q. Veranius, en 45/46.La Confédération lycienne était la dernière des grandes
confédérations à être restée libre, jusqu'à ce que – selon nos sources
historiques
[34] – les
dissensions qui l'agitaient décident Claude à la placer sous l'autorité d'un
gouverneur.Dans l'inscription de Patara, les Lyciens qualifient l'empereur de
« sauveur de leur peuple », et se proclament eux-mêmes « Lyciens dévoués à Rome,
dévoués à l'empereur, alliés fidèles, délivrés de la discorde, de l'anarchie et
des brigandages par la divine prévoyance (de l'empereur), ayant recouvré la
concorde, une bonne administration de la justice et leurs lois ancestrales
lorsque le gouvernement fut confié par la foule dépourvue de jugement à des
bouleutes choisis parmi les meilleurs »
[35] . On voit que la réduction en province
s'accompagna d'une modification des institutions, et même si, semble-t-il, les
bouleutes restaient formellement désignés par une assemblée plénière, la réforme
était clairement présentée comme la substitution d'une aristocratie à une
ochlocratie.Un rapprochement s'impose avec une très intéressante inscription de
Pergame en l'honneur d'un citoyen, Mènodôros, qui avait joué un rôle lorsque, à
la mort d'Attale III qui lui avait accordé la liberté dans son testament, la
cité dut s'organiser et faire face au prétendant Eumène III (Aristonicos) en
attendant l'arrivée des Romains : « lors du passage à la démocratie, le peuple
ayant élu des synèdres parmi les meilleurs, Mènodôros fut lui aussi choisi, et
faisant ensuite partie du conseil établi conformément à la législation donnée
par les Romains etc. »
[36] (il faut ici bien distinguer le
synédrion élu
par la cité et le
bouleutèrion mis en place
par une législation romaine dont l'objet reste encore assez mystérieux). Le
point commun entre les textes de Pergame et de Patara est l'élection par le
peuple d'une assemblée restreinte composée de membres pris parmi les
« meilleurs », et l'intérêt du décret de Pergame est de montrer que cette
procédure, en soi, n'est pas considérée comme antidémocratique. En revanche, ce
qui oppose clairement les deux textes, c'est l'usage du mot
dèmokratia , manifestement pourvu d'une valeur
positive, dans le texte de Pergame, et la mention méprisante de « la foule
dépourvue de jugement » dans le texte de Patara. L'inflexion que le texte de
Strabon sur les institutions rhodiennes laissait entrevoir est ici très nette :
la démocratie est redevenue un régime suspect qui se confond avec l'ochlocratie,
et si les Lyciens prétendent avoir recouvré « leurs lois ancestrales », ils se
gardent bien de parler de « leur démocratie ancestrale », comme ils l'avaient
fait, nous l'avons vu, dans la dédicace élevée sur le Capitole dans les années
160 avant notre ère. La place est libre désormais pour une aristocratie qui peut
s'afficher sans complexe, et le qualificatif d'
aristos est souvent associé au statut de bouleute dans les
inscriptions d'Asie Mineure du II e siècle.
Un décret de Maronée datant lui aussi du règne de Claude
[37] est sans doute de quelques années
seulement postérieur à la création de la province de Thrace en 45/46, et donc à
l'inscription de Patara.Une ambassade envoyée auprès de l'Empereur a permis à
la cité de recouvrer la plénitude de sa liberté et des privilèges qu'elle avait
précédemment obtenus
[38] . À la suite de quoi, sous le prétexte que l'envoi en urgence d'une ambassade
auprès de l'Empereur lorsque les circonstances l'exigent ne devrait souffrir
aucun retard, fut adopté un extraordinaire décret présenté comme une
« résolution des bouleutes, des prêtres, des magistrats, des Romains résidant
dans la cité et de tous les autres citoyens »
[39] : ayant valeur de loi et une validité
permanente
[40] ,
sacralisé par un serment prêté par tous les citoyens, il légalisait par avance
toute ambassade qu'entreprendrait un citoyen s'étant inscrit auprès des
magistrats pour aller à Rome défendre la liberté et les privilèges de la cité,
et interdisait formellement toute obstruction contre une telle ambassade. Le
texte contenait un décret en blanc et un serment en blanc du candidat à
l'ambassade, auxquels il suffisait d'ajouter le nom de l'ambassadeur et celui de
l'Empereur.Les Romains qui résident dans la cité sont spectaculairement insérés
entre les bouleutes, prêtres et magistrats et les simples citoyens, mais le
décret est bien une décision de la cité, qui n'est en aucune façon dictée ni
même inspirée par les autorités romaines : ces dernières au contraire se sont
très vite montrées soucieuses de limiter le nombre des ambassades auprès du
Sénat, puis de l'Empereur, parce qu'il leur importait que les finances des cités
ne fussent pas mises à mal par une multiplication intempestive de ces
ambassades
[41] . Un
décret comme celui de Maronée ne pouvait être pris que par une cité libre, qui
n'avait pas besoin de l'autorisation du gouverneur pour envoyer une ambassade
auprès de l'Empereur. Ce qui apparaît pleinement dans cette inscription, bien
que le mot
dèmokratia , une fois encore, soit
soigneusement ignoré, c'est un conflit entre les deux notions hellénistiques de
la
dèmokratia : au nom de la défense de la
souveraineté de la cité (sa liberté et ses privilèges), un groupe dirigeant fait
adopter par l'Assemblée un texte qui, de façon qu'il entend être définitive,
dépossède l'Assemblée de l'une de ses prérogatives éminentes, le droit de
décider de l'envoi d'une ambassade auprès de l'Empereur, et il en fait une
initiative individuelle qui sera soumise au simple contrôle des magistrats. Les
bouleutes Lyciens restaient élus par le peuple, mais des règles suffisamment
strictes avaient dû être établies pour que « la foule dépourvue de jugement » ne
risque pas de s'égarer. Les futurs ambassadeurs de Maronée resteront
formellement mandatés par le « décret perpétuel » voté dans le passé par
l'Assemblée et appliqué par les magistrats, mais dans l'un et l'autre cas il est
incontestable que nous n'avons plus qu'une apparence de procédure démocratique,
et que les institutions elles-mêmes consacrent désormais la domination d'une
oligarchie.
Footnotes
Note 1
Fr. Quass, « Zur Verfassung der griechischen Städte im Hellenismus »,
Chiron 9, 1979, p. 37–52.
Note 2
J. et L. Robert, Claros I. Décrets hellénistiques, fasc. 1, Paris, 1989,
Ménippos, col. II, l. 3–7 : καὶ προσγεγραμμένον
ἤνεγκε τῆι ἀποκρίσει διότι τῆς ἐπαρχείας ἐκτὸς οὔτε κρίνειν οὔτε
πολυπραγμονεῖν τῶι στρατηγῶι καθήκει, ἰδιώτατον τῆι δημοκρατίαι καὶ
κάλλιστον ἐνέγκας ἀπόκριμα .
Note 3
Ménippos, col. I, l., 23–27 : τῶν παραγινομένων
εἰς τὴν Ἀσίαν τὰ κριτήρια μεταγόντων ἀπὸ τῶν νόμων ἐπὶ τὴν ἰδίαν
ἐξουσίαν καὶ πρὸς μέρος ἀεὶ τῶν ἐνκαλουμένων πολιτῶν ἐγγύας
ἀναγκαζομένων ὑπομένειν ; 37–40 : τοὺς δὲ κατοικοῦντας τὴν πόλιν ἐλευθέρωσε κατηγγυήσεων καὶ
στρατηγικῆς ἐξουσίας, τῆς ἐπαρχείας ἀπὸ τῆς αὐτονομίας
χωρισθείσης .
Note 4
CIL I 2 725 ;
ILLRP 174.
Note 5
Pol., 22, 8, 6 : τῶν δὲ πραγμάτων ἐναντίαν φύσιν
ἐχόντων τοῖς βασιλεῦσι καὶ ταῖς δημοκρατίαις, καὶ τῶν πλείστων καὶ
μεγίστων διαβουλίων ἀεὶ γινομένων περὶ τῶν πρὸς τοὺς βασιλεῖς ἡμῖν
διαφερόντων.
Note 6
Pol., 21, 22, 8 : φύσει γὰρ πᾶσαν μοναρχίαν τὸ
μὲν ἴσον ἐχθαίρειν, ζητεὶν δὲ πάντας, εἰ δὲ μή γ᾿ ὡς πλείστους,
ὑπηκόους εἶναι σφίσι καὶ πειθαρχεῖν.
Note 7
Cic., Att. , 6, 1, 15 : multaque sum secutus
Scaeuolae, in iis illud in quo sibi libertatem censent Graeci datam, ut
Graeci inter se disceptent suis legibus... Graeci uero exsultant... Ii
se αὐτονομίαν adeptos putant ;
Att. , 6, 2, 4 : omnes (sc. ciuitates) suis
legibus et iudiciis usae αὐτονομίαν adeptae reuixerunt.
Note 8
Artt., Pol. , III, 15, 1286 b : ἐπεὶ δὲ καὶ μείζους εἶναι συμβέβηκε τὰς πόλεις, ἴσως
οὐδὲ ῥᾴδιον ἔτι γίγνεσθαι πολιτείαν ἑτέραν παρὰ
δημοκρατίαν.
Note 9
Artt., Pol. IV, 13, 1297b : διόπερ ἃς νῦν καλοῦμεν πολιτείας, οἱ πρότερον ἐκάλουν
δημοκρατίας (dans une perspective historique de
développement de la cité tout à fait comparable à celle du texte
précédent). Le lien est évident avec ceux qui, à Athènes, souhaitaient
un retour à la patrios politeia .
Note 10
Un fait important, que tend à occulter le fait que seule nous est
parvenue, grâce à un papyrus, la Constitution des
Athéniens .
Note 11
Artt., Pol. IV, 13, 1297b : δημοκρατία τε γὰρ οὐ μία τὸν ἀριθμόν
ἐστι.
Note 12
Pol., 6, 57, 9 : οὗ γενομένου τῶν μὲν ὀνομάτων
τὸ κάλλιστον ἡ πολιτεία μεταλήψεται, τὴν ἐλευθερίαν καὶ δημοκρατίαν,
τῶν δὲ πραγμάτων τὸ χείριστον, τὴν ὀχλοκρατίαν.
Note 13
Pol., 2, 38, 6 et 8–9 : ἰσηγορίας καὶ παρρησίας
καὶ καθόλου δημοκρατίας ἀληθινῆς σύστημα καὶ προαίρεσιν
εἰλικρινέστεραν οὐκ ἂν εὕροι τις τῆς παρὰ τοῖς Ἀχαιοῖς ὑπαρχούσης...
Οὐδενὶ γὰρ οὐδὲν ὑπολειπομένη πλεονέκτημα τῶν ἐξ ἀρχῆς, ἴσα δὲ πάντα
ποιοῦσα τοῖς ἀεὶ προσλαμβανομένοις, ταχέως καθικνεῖτο τῆς
προκειμένης ἐπιβόλης, δύο συνεργοῖς χρωμένη τοῖς ἰσχυροτάτοις,
ἰσότητι καὶ φιλανθρωπίᾳ. Διὸ ταύτην ἀρχηγὸν καὶ αἴτιον ἡγετέον τοῦ
συμφρονήσαντας Πελοποννησίους τὴν ὑπαρχούσαν αὐτοῖς εὐδαιμονίαν
καταστήσασθαι.
Note 14
J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme ,
Rome, 1988, p. 276–291.
Note 15
Paus., 7, 16, 9.
Note 16
Pol., 38, 11, 7–11 ; 12–13 ; 15–18.
Note 17
Pol., 6, 9, 5–7 : οὐκέτι διὰ τὸ σύνηθες ἐν
μεγάλῳ τιθέμενοι τὸ τῆς ἰσηγορίας καὶ παρρησίας ζητοῦσι πλέον ἔχειν
τῶν πολλῶν... Ἐξ ὧν ὅταν ἅπαξ δωροδόκους καὶ δωροφάγους
κατασκευάσωσι τοὺς πολλοὺς διὰ τὴν ἄφρονα δοξοφαγίαν, τοτ᾿ ἤδη πάλιν
τὸ μὲν τῆς δημοκρατίας καταλύεται, μεθίσταται δ᾿ εἰς βίαν καὶ
χειροκρατίαν ἡ δημοκρατία.
Note 18
Cic. , Rep. , 3, 48 : omnes erant idem tum de
plebe tum senatores, uicissitudinesque habebant quibus mensibus populari
munere fungerentur, quibus senatorio ; utrubique autem conuenticium
accipiebant, et in theatro et in curia. Res capitalis et reliquas omnes
iudicabant idem. Je donne ce texte avec la ponctuation que j'ai proposée
dans Filologia e forme letterarie. Studi offerti a
Francesco Della Corte , Urbino, 1987, II, p. 247–252, et qui
permet de concilier pleinement ce texte avec l'existence, prouvée par la
documentation épigraphique (P. M. Fraser, ABSA
67, 1972, p. 119–124), d'un tribunal populaire comparable à l'Héliée
athénienne.
Note 19
Dio, 31 ( Ῥοδιακός ), 102 : τότε μὲν γὰρ εἰς πάνθ᾿ ὅσα καὶ νῦν ἀνηλίσκετο,
πανηγύρεις, πόμπας, ἱερουργίας, εἰς τὰ τείχη, τοῖς δικάζουσι, τῇ
βουλῇ..
Note 20
Dio, 31, 6 : ὁποῖοι γὰρ ἂν ὦσιν οἱ πλείους ἐν
δημοκρατίᾳ, τοῦτο φαίνεται καὶ τὸ κοινὸν ἦθος· τὰ γὰρ τούτοις
ἀρέσκοντα ἰσχύει δήπουθεν, οὐχ ἕτερα ; 58 : καὶ ταῦτα ἐν δημοκρατίᾳ
καὶ παρ᾿ ὑμῖν, οἳ μέγιστον φρονεῖτε ἐπὶ τῷ νομίμως καὶ δικαίως
διοικεῖν τὰ παρ᾿ ἑαυτοῖς. ; Aristid., 24 ( Ῥοδίοις περὶ ὁμονοίας ), 22 : τὴν δημοκρατίαν οὕτως ἐπαινεῖτε ὥστε μηδ᾿ ἂν ἀθάνατοι
δέξαισθε γενέσθαι, εἰ μή τις ὑμᾶς ἐπὶ ταύτης ἐάσει μένειν τῆς
πολιτείας.
Note 21
Strab., 14, 2, 5, C. 652–3 : δημοκηδεῖς δ᾿ εἰσὶν
οἱ Ῥόδιοι καίπερ οὐ δημοκρατούμενοι.
Note 22
Strab., 9, 1, 20, C. 398 : οὐ μόνον οὐ κατέλυσε
τὴν δημοκρατίαν, ἀλλὰ καὶ ἐπηνόρθωσε... Ἀλλ᾿ οὕτως ὁ φθόνος ἴσχυσε
καὶ ἡ πρὸς ὀλίγους ἀπέχθεια, ὥστε μετὰ τὴν Κασάνδρου τελευτὴν
ἠναγκάσθη φυγεῖν εἰς Αἴγυπτον.
Note 23
Strab., 14, 2, 5, C. 652 : θαυμαστὴ δὲ καὶ ἡ
εὐνομία καὶ ἡ ἐπιμελεία πρός τε τὴν ἄλλην πολιτείαν καὶ τὴν περὶ τὰ
ναυτικά, ἀφ᾿ ἧς ἐθαλαττοκράτησε πολὺν χρόνον καὶ τὰ λῃστήρια καθεῖλε
καὶ Ῥωμαίοις ἐγένετο φίλη καὶ τῶν βασιλέων τοῖς φιλορωμαίοις καὶ
φιλέλλησιν. Ἀφ᾿ ὧν αὐτόνομός τε διετέλησε καὶ πολλοῖς ἀναθήμασιν
ἐκοσμήθη.
Note 24
Strab., 14, 2, 5, C. 653 : σιταρχεῖται δὴ ὁ
δῆμος καὶ οἱ εὔποροι τοὺς ἐνδεεῖς ὑπολαβάνουσιν ἔθει τινὶ πατρίῳ,
λειτουργίαι τέ τινές εἰσιν ὀψωνιζόμεναι, ὡσθ᾿ ἅμα τόν τε πένητα
ἔχειν τὴν διατροφὴν καὶ τὴν πόλιν τῶν χεριῶν μὴ καθυστερεῖν, καὶ
μάλιστα πρὸς τὰς ναυστολίας.
Note 25
Aarhus, 1997. Comme le remarque V. Gabrielsen, la formule « naval
aristocracy » avait déjà été utilisée pour la Rhodes hellénistique par
F. Walbank, The Hellenistic World , Londres,
1981, p. 162, et par P. Green, From Alexander to
Actium. The Historical Evolution of the Hellenistic Age ,
Berkeley - Los Angeles, 1990, p. 378.
Note 26
V. Gabrielsen, o. c. , p. 29.
Note 27
V. Gabrielsen, o. c. , p. 31.
Note 28
Liv., 34, 51, 4–6 : a censu maxime et senatum et iudices legit,
potentioremque eam partem ciuitatium fecit cui salua et tranquilla omnia
esse magis expediebat .
Note 29
Paus., 7, 16, 9 : δημοκρατίας μὲν κατέπαυε,
καθίστα δὲ ἀπὸ τιμημάτων τὰς ἀρχὰς.
Note 30
Pol., 31, 12, 12.
Note 31
Supplément 12 au Bulletin de Correspondance
Hellénique , Athènes, 1985.
Note 32
Ph. Gauthier, o. c. , p. 57–58.
Note 33
P. Hamon, « Le Conseil et la participation des citoyens : les mutations
de la basse époque hellénistique », dans P. Fröhlich - C. Müller (edd.),
Citoyenneté et participation à la basse époque
hellénistique , Genève, 2005, p. 121–144.
Note 34
Suet., Claud. , 25, 3 ( discordias ), Dio, 60, 17, 3–4 ( στασιάσαντας ).
Note 35
SEG LI, A l. 13–29 : Λύκιοι φιλορώμαιοι καὶ
φιλοκ[αί] σαρες πιστοὶ σύμμαχοι ἀπαλλαγ[έ]ν[τε] ς στάσεως καὶ ἀνομίας
καὶ λῃσ[τ] ειῶν [δι]ὰ τὴν θείαν αὐτο[ῦ] πρόνοιαν, ἀπειλη[φ]ότες δὲ
ὁμό[νοι]αν καὶ τὴν ἴσην δ[ικαιοδ] οσίαν καὶ τοὺς [π]α[τρίο] υς νόμους
τῆς πολιτείας τοῖς ἐξ ἀρίστων βουλευταῖς ἀπὸ τοῦ ἀκρίτου πλήθους
πιστευθείσης. Voir en particulier C. P. Jones, « The
Claudian Monument at Patara », ZPE 137, 2001,
p. 161–168 (y compris pour le rapprochement avec le texte de
Pergame).
Note 36
M. Wörrle, « Pergamon um 133 v. Chr. », Chiron
30, 2000, p. 543–576 ( SEG L 1211), l. 11–14 :
μεταπεσόντων τε τῶν πραγμάτων εἰς
δημοκρατίαν [κα] ὶ τοῦ δήμου συνέδρους χειροτονήσαντος τῶν ἀρίστων
ἀνδρῶν κατεσ[τ] άθ[η] καὶ Μηνόδωρος καὶ μετὰ ταῦτα ἐν τῶι κατὰ τὴν
Ῥωμαικὴν νομοθεσίαν βουλευτηρίωι γενόμενος κτλ.
Note 37
K. Clinton, « Maroneia and Rome : Two Decrees of Maroneia from
Samothrace », Chiron 33, 2003, p. 379–417.
Surtout M. Wörrle, « Maroneia im Umbruch. Von der hellenistischen zur
kaiserzeitlichen Polis », Chiron 34, 2004, p.
149–167, et « La politique des évergètes et la non-participation des
citoyens. Le cas de Maronée sous l'Empereur Claude », dans P. Fröhlich,
C. Müller (éd.), Citoyenneté et participation à la
basse époque hellénistique , Genève, 2005, p. 145–161. SEG LIII, 659.
Note 38
A, l. 18–19, 25, 33 ; B, l. 15–17, 23–24 : τὴν
ἐλευθερίαν καὶ τὰ φιλάνθρωπα. Le futur ambassadeur
s'engage à maintenir τήν τε ἐλε[υ]θερίαν καὶ
τοὺς νόμους καὶ τὴν πόλιν καὶ τὴν χώραν καὶ τἆλλα φιλάνθρωπα πάντα ἃ
οἵ τε πρόγονοι ἡμῶν καὶ ἡμεῖς λαβόντες παρ᾿ αὐτῶν ἔσχομεν
(B, 15–17). L'absence du mot démocratie est d'autant plus significative
que la liste manifeste une évidente volonté de complétude.
Note 39
L. 1–2 : γνώμη βουλευτῶν καὶ ἱερέων καὶ ἀρχόντων
καὶ ῾ρωμαίω[ν τῶν τ] ὴν πόλιν κατοικούντων καὶ τῶν λοιπῶν πολιτῶν
ἁπάν[των] .
Note 40
L. 26 : διὰ ψηφίσματος αἰωνίου
νομο < θετη > θέντος.
Note 41
Dans la province d'Asie, des mesures de contrôle des dépenses liées à
l'envoi d'ambassades à Rome remontent à la loi Cornelia de Sylla (85 av.
J.-C.).